“L’Art de la joie” de Goliarda Sapienza

Couverture de L’Art de la joie de Goliarda Sapienza, publié aux éditions du Tripode, 2016.

L’Art de la joie de Goliarda Sapienza

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Ça parle de quoi ? L’Art de la joie (L’Arte delle gioia) raconte l’histoire de Modesta, née le 1er janvier 1900 dans la pauvreté en Sicile, héroïne haute en couleurs, libre, contestataire, jamais soumise aux diktats sociaux.

On trouve quoi dans ce livre ? Une fresque de personnages insoumis + du sexe brut et joyeux + de nouveaux modèles familiaux + de la bisexualité + de la violence et un viol + une critique de l’Église et de la religion + de l’anarchie.

Goliarda Sapienza en 1970, collection particulière d’Angelo Maria Pellegrino.

Extrait choisi

« -       Dis-le encore.

-       Modesta.

-       Encore.

-       Modesta.

-       Encore.

-       Ma Modesta, tu me rends fou.

-       Et maintenant dis : Modesta, ma mine d’or.

-       Ma mine d’or, Modesta. Je veux entrer en toi jusqu’au cœur.

Le mot ‘‘cœur’’ prononcé par sa voix perd la signification ambiguë qui me l’a fait détester et je vois mon cœur, œil et centre, horloge et valve de mon espace charnel. Dans l’obscurité, j’écoute avec mes paumes sa pulsation violente qui, de ma poitrine à mes tempes mouillées, crie de joie et ne veut pas s’apaiser. Quand c’est l’aube, Carmine s’en va. Dans le sommeil, je le vois s’éloigner comme une ombre. Comment faisait-il pour apparaître et disparaître et être toujours présent ?

-       C’est que tu m’as dans le cœur, Modesta. C’est pareil pour moi aussi : je m’en vais, et je te porte là, avec moi.

-       Tu as une poche dans le cœur pour me porter avec toi ?

-       Eh certes, le cœur est une grande poche, une grande corbeille qui peut tout contenir. Tu ne le sens pas que je te tiens dans mes mains comme l’or de ma vie ? 

Il creuse entre mes cuisses et l’or de ma jeunesse vient à la lumière entre ses mains. Le jour, seule, dans le souvenir de son visage entre champs et soleil, la nuit, entre ses bras embaumants le foin et le tabac. »

Tecla Insolia est Modesta dans la série éponyme adaptée du roman, réalisation Valeria Golina, production Sky Studios, 2024.

 Qu’est-ce que j’en pense ?

L’Art de la joie de Goliarda Sapienza est un livre maudit. Il a été écrit dans la douleur de 1967 à 1976, puis publié posthume pour la première fois en version intégrale en Italie en 1998, et en France en 2005. Ce roman est un ovni. Longtemps jugé immoral et scandaleux, il est aujourd’hui considéré comme un classique. Si on aime l’écriture expérimentale et les narrations anarchistes, il faut lire ce livre ! On est décontenancé à la fois par le mode d’expression et les péripéties, tout est neuf et vertigineux. L’héroïne ne cède jamais, ni à la facilité, ni au confort, ni à la sécurité. Modesta est en recherche perpétuelle de la joie, du plaisir, du bonheur. Elle sera anarchiste, libre et heureuse, ou elle ne sera rien. C’est un récit de la foi en des lendemains qui chantent et à la liberté des femmes dans lequel l’héroïne et l’autrice avec elle appellent de leurs voeux une révolte sociale et sensuelle pour un monde plus juste, plus ouvert, plus à même de rendre les individus qui le composent complets, heureux, insoumis.


Comment se procurer ce livre ? Gratuitement en bibliothèque (catalogue des bibliothèques municipales de Paris, liste des bibliothèques de France) + neuf en librairie pour 14€50 (liste des librairies en France) + d’occasion en librairie de seconde-main (type Gibert, Boulinier…) + d’occasion sur des sites de seconde main (type Momox, Recyclivre…). N’oublions pas qu’en France, le prix du livre neuf est unique, c’est-à-dire qu’un livre neuf a le même prix partout, peu importe où on l’achète : alors, si on le peut, privilégions les librairies indépendantes et proches de chez nous !


La fiche d’identité du livre : L’Art de la joie de Goliarda Sapienza, publié en 1998 (Italie) et en 2005 (France). L’édition utilisée pour cet article est celle de la collection semi-poche « Météores » du Tripode, publiée en 2016, traduction de Nathalie Castagné, 797 pages.

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